La prise d’Alger par l’armée française
Ses causes et ses conséquences
Prof. T. B. · Médecin Chirurgien · Août 2020

Préambule
L’histoire coloniale de la France est restée longtemps occultée par ses gouvernants successifs. Ceux-ci ont constamment opposé un déni des crimes commis par la colonisation, face à certains pays, comme l’Algérie, qui réclamaient une reconnaissance de ces crimes afin d’apaiser les cœurs. Néanmoins, quelques déclarations positives récentes de la part de certains dirigeants français, ainsi que quelques révélations faites par le biais de documentaires télévisés en France, ont eu le mérite d’entrouvrir un débat sur cette question ô combien sensible.
Cependant, la population française trop longtemps abreuvée par une histoire déformée de la colonisation de l’Algérie, tant à travers l’enseignement scolaire, que par certains médias et par des discours politiciens, demeure en conséquence convaincue de la prépondérance de ses bienfaits. Ainsi, dans un sondage lancé il y a peu de temps par le journal français Le Figaro, ils étaient, semble-il, plus de 85% votants—avec plus de 197 000 participants—défavorables à des excuses officielles de la France pour son passé colonial.
Il serait intéressant de demander à ces 85% de votants de redonner leur avis, après avoir pris la peine de lire le travail qui suit et de s’informer en visualisant les étonnants documentaires sur cette histoire coloniale, diffusés tout récemment par une chaîne française étatique.
Concernant ce travail, je voudrais préciser que je ne me pose nullement en historien mais j’ai simplement voulu transmettre, à qui le souhaite, les connaissances que j’ai pu puiser à travers mes lectures de différents articles et ouvrages historiques concernant cet aspect de l’histoire de l’Algérie.
L’Algérie avant l’arrivée des Français
Les troupes françaises débarquent à la plage de Sidi Ferruch le 14 juin 1830 afin de s’emparer de la Régence d’Alger. Ces troupes ne connaissaient alors de ce pays que ce qu’on leur avait raconté. Comment en fait, était-il réellement ce pays ?
Ce qui était appelé la Régence ou encore royaume d’Alger était un état, dont l’étendue correspondait grossièrement à l’Algérie actuelle et qui était sous tutelle de l’empire Ottoman depuis l’arrivée des frères Barberousse en 1515 et gouverné par un Dey désigné par Istanbul. Le pouvoir du Dey s’appuyait sur les corsaires en mer et sur les milices des Janissaires dans la ville. Cet état était reconnu par la plupart des pays occidentaux, qui d’ailleurs, y avaient établi des représentations diplomatiques.
La Régence d’Alger était répartie en quatre provinces ou Beyliks, administrés chacune par un Bey :
Le Beylik du centre, correspondant à la région d’Alger et la Mitidja et constituant le territoire du Sultan, le Dey Hussein à cette période.
Le Beylik de Constantine, à l’est, dirigé par le Bey Hadj Ahmed, homme juste et respecté.
Le Beylik du Titteri avec Médéa comme capitale, gouverné par le Bey Boumezrag.
Le Beylik de l’Oranie, peu influent
L’Algérie d’alors, se présentait comme le pays le plus vaste, le plus fertile et le mieux cultivé de la région du Nord de l’Afrique.
Au centre, sa capitale Alger est dominée par l’imposante Casbah ; celle-ci est habitée essentiellement par des autochtones, et abrite de nombreuses échoppes et ateliers d’artisanat et est entourée par de nombreuses villas et jardins destinés aux notables et aux diplomates étrangers.
L’intérieur du pays, très vaste, abrite les 9/10emes de la population, organisée en tribus, parfois très puissantes, sur un mode de gestion relativement autonome. Cette population est répartie dans d’innombrables villages, dont la plupart sont entourés de jardins soignés, de vergers et de forêts d’oliviers. L’activité est basée sur l’élevage de troupeaux immenses et sur la culture de céréales, qui recouvrent de grandes plaines.
Claude Ambroise Fernel témoigne : “Cette terre, qui nous avait été présentée comme sauvage et inhabitée, nous offrait au contraire le coup d’œil le plus pittoresque et le plus varié. Elle est couverte de jolies maisons de campagne entourées de jardins ; toutes sont bâties sur des hauteurs dont les mouvements onduleux contrastent tout-à-fait avec l’aridité et les formes brisées des côtes de Provence. La végétation y est superbe, et partout des sources et des courants d’eau y fécondent la terre. Les fruits y sont en abondance”Campagne d’Afrique en 1830, éd. Barrois et Duprat, 1831, p. 25.
Le peuple est cultivé et tous les algériens savaient lire et écrire, tel que rapporté aussi bien par Hamdan Khodja dans son livre, le Miroir, que par les français eux-même ; en effet, cela sera rédigé par la commission française d’enquête de 1833 sur l’état de la Régence et confirmé par le Lieutenant-colonel Claude-Antoine Rozet : “Le peuple maure, pris en général, a peut-être plus d’éducation que le peuple français, presque tous les hommes savent lire, écrire et un peu compter; il y a un grand nombre d’écoles publiques dans la régence d’Alger, où on instruit les enfants dès l’âge de quatre ans”Voyage dans la régence d’Alger, éd. Arthus Bertrand, 1833.
De fait, en 1830, le pays comptait :
Plus de 100 écoles primaires à Alger, 86 à Constantine et 50 à Tlemcen.
Entre 6 à 7 collèges secondaires respectivement à Alger et à Constantine.
Plus de 10 universités, sous la forme de Zaouïas, réparties à travers le pays.
L’administration de la Régence, ne s’appuyant que sur les Turcs, négligeait totalement la population autochtone et ne s’y intéressait que pour le prélèvement des taxes, qui devenaient de plus en plus lourdes et sources de révoltes naissantes, ainsi que pour y puiser, en cas de nécessité, des combattants, particulièrement le corps des cavaliers, fiers d’une longue réputation de bravoure.
Les causes et les raisons de l’expédition française
Cette expédition française, minutieusement préparée pour s’emparer d’Alger, était gigantesque, composée d’une armée puissante, disciplinée et d’une énorme logistique, le tout embarqué sur une flotte de plusieurs centaines de navires.
Pourquoi une telle expédition ? Pour des raisons d’honneur et aller laver un affront, avait alors affirmé le gouvernement français mais en réalité, d’autres objectifs, cupides inavoués, en étaient les vraies raisons.
Pour comprendre ces raisons, il faut remonter le temps, et précisément à la journée du 29 avril 1827, dernier jour du Ramadhan et la veille de la fête de Aid El Fitr à Alger. Lors de cette journée, une cérémonie était organisée dans le palais du Dey Hussein et à laquelle, tous les diplomates accrédités étaient conviés. Parmi eux, le consul de France Pierre Deval, habituellement arrogant, se distinguait ce jour-là par un comportement méprisant et provocateur. A une question posée par le Dey, portant sur une dette française toujours impayée, inhérente à une livraison de blé par l’Algérie, ce consul eut une réponse insolente, proche de l’offense; poussé à bout et très en colère, le Dey lui effleura le visage de deux ou trois coups de son éventail et lui ordonna de quitter les lieux. C’était le motif tout trouvé par le gouvernement français pour partir en guerre et “laver l’affront” qui venait de lui être fait par ce geste, devenu depuis, célèbre.
Mieux encore, cette guerre allait prétendument être entreprise au nom de la chrétienté, qui se promettait d’aller “punir ces pirates barbares”, qui écumaient la méditerranée et d’aller, en même temps, délivrer leurs nombreux prisonniers chrétiens.
En réalité, ce ne furent là que des prétextes fallacieux car, il est clairement inconcevable que l’on décide de déclencher une si grande expédition militaire, très onéreuse et hasardeuse, pour un motif qui pouvait aisément être réglé par voie diplomatique. De plus, s’il était vrai qu’au cours des décennies antérieures, les corsaires d’Alger (et non pas des pirates) étaient maîtres de la méditerranée, ce n’était plus le cas depuis la destruction de la flotte algérienne par la marine anglaise une dizaine d’années auparavant et n’y avait pratiquement plus de course ni de prisonniers à Alger.
Par contre, et comble d’hypocrisie, les navires français pratiquaient toujours la traite des esclaves dans l’Atlantique, à partir de l’Afrique de l’ouest et de plus, la France pratiquait toujours l’esclavage dans ses colonies des îles Caraïbes et ce jusqu’en 1948, année de son abolition. Notons d’ailleurs que là encore, comble de mépris, une indemnisation avait été accordée aux propriétaires alors que les anciens esclaves n’avaient eu droit à aucune réparation.
Les vraies raisons de cette aventure guerrière étaient donc à rechercher ailleurs et il faut encore remonter le temps pour bien les saisir.

Remontons le temps :
D’abord, à la période d’avant 1815, au temps de Napoléon Bonaparte, qui avait marqué cette tranche de l’histoire par ses nombreuses campagnes militaires en Europe et au Moyen-Orient. Pour les besoins de ces campagnes, Napoléon s’était largement endetté auprès de l’Algérie en s’approvisionnant en blé. Après des années de grandes victoires, la chute vint en 1815, lors de la bataille de Waterloo, avec une défaite définitive face à une coalition européenne, suivie de son exil à l’île de Sainte Hélène.
À la fin de cette période, la France qui fonctionnait sur un mode d’économie de guerre, s’était retrouvée dans une situation socio-économique désastreuse.
Ensuite, après la chute de Napoléon Bonaparte en 1815, le sénat français rétablit la monarchie et place successivement sur le trône Louis XVIII puis Charles X, qui va régner jusqu’en 1830. Durant cette nouvelle période, la France a continué à se débattre dans des problèmes multiples, avec une agriculture en berne, un important retard industriel, particulièrement face à sa rivale d’outre-Manche et une grosse dette envers l’Algérie, que Napoléon a été dans l’incapacité d’honorer et qui avait fini par dégénérer en un conflit commercial et diplomatique. Malgré quelques réformes de Louis XVIII, la situation s’était encore aggravée sous Charles X, dont la fin de règne était marquée par un mécontentement populaire et un conflit avec l’opposition qui allait crescendo, opposition qui risquait nettement de s’imposer aux élections parlementaires qui approchaient, mettant ainsi le trône en péril.
C’est donc sous Charles X qu’a eu lieu l’incident du coup de l’éventail en 1827, incident qui a été suivi d’une déclaration de guerre par la France et d’un blocus maritime de la ville d’Alger. Cependant, rien n’avait été entrepris dans l’immédiat et ce n’est que deux ans plus tard, en 1829, que Charles X, sous la pression du Prince de Polignac, qu’il venait de nommer comme président du conseil, a accéléré la décision de partir à la conquête d’Alger, aux motifs de façade invoqués.
En réalité, les vraies raisons, inavouées étaient multiples et centrées essentiellement sur la convoitise du fameux trésor de la Régence; ce trésor entreposé dans le palais du Dey, qui faisait fantasmer les chancelleries à Alger et qui, une fois accaparé, aurait, selon les prévisions, permis de réaliser plusieurs objectifs :
Renflouer les caisses de l’état français, être financièrement en mesure de corrompre les élections parlementaires qui étaient imminentes, afin de contrer les candidatures menaçantes de l’opposition et d’obtenir ainsi une majorité qui permettrait à Charles X de préserver son trône.
Se débarrasser enfin de la récurrente et épineuse question du remboursement de la dette à l’Algérie.
Détourner les français des problèmes sociaux et politiques en flattant l’orgueil national.
Accomplir enfin, le grand rêve longtemps inassouvi, celui de restaurer le prestige chancelant de la famille royale et de se replacer politiquement vis à vis du voisin rival, l’Angleterre.
Par ailleurs, il ne serait pas superflu de souligner le rôle néfaste de trois personnages, appartenant à un cercle proche du pouvoir, complices avec le consul Pierre Deval dans la détérioration des relations entre la France et l’Algérie avec cette sombre affaire de la dette.
Ces personnages étaient :
Charles-Maurice de Talleyrand d’abord : ancien évêque, diplomate rusé, corrompu et libertin, surnommé le “diable diplomate”. Homme de Bonaparte, puis nommé chef du gouvernement par Louis XVIII en 1815, il est aussi l’homme des trahisons et des complots.
Les négociants Joseph Cohen Bacri et Michel Busnach. Installés à Alger, ils n’avaient débuté qu’avec une petite boutique puis se sont rapidement enrichis en spéculant sur le dos des algériens naïfs. Intrigants et sournois, ils avaient réussi à se placer en intermédiaires dans les transactions de blé entre l’Algérie et la France depuis l’époque de Napoléon, puis, manigancent avec Talleyrand pour empocher une partie de la dette, sans rien reverser au Dey.
Il faut aussi rappeler les actes de prédation de La Maison Seillière. Pour les besoins de l’expédition imminente, De Bourmont qui avait les pleins pouvoirs, avait choisi d’octroyer à cette Maison, dans des conditions jugées douteuses, l’immense marché d’approvisionnement et de transport de l’armada. Plus tard à Alger, l’influence grandissante des Seillière leur permettra de tirer d’autres importants profits par des transactions spéculatives sur les stocks de produits algériens confisqués, puis de convoyer sur leurs navires, une partie du trésor de la Casbah détourné.
L’expédition
L’expédition est donc décidée. Il restait à définir la stratégie qui permettrait d’envahir le territoire avec le moindre risque car Alger était réputée être inexpugnable et avait pu, de par le passé, repousser de multiples tentatives de débarquement, qu’elles furent françaises, anglaises, hollandaises ou autres. La tentative la plus marquante a été celle du roi d’Espagne, Charles Quint, qui en 1541 avait essuyé une lourde défaite et avait dû battre en retraite avec d’énormes pertes en hommes et en navires, devant la résistance locale et des conditions climatiques inattendues très défavorables. Alger était d’ailleurs appelée par ses habitants “El Djazair el mahroussa” (la bien gardée).
La stratégie recherchée avait en fait été déjà mise au point vingt ans auparavant, en 1808, année où Napoléon, qui envisageait déjà de partir à la conquête de l’Algérie et du Maghreb, y avait envoyé un officier espion, Vincent Yves Boutin; celui-ci, sous couvert d’une visite amicale, a sillonné le littoral algérois pendant environ deux mois, puis a réussi à établir une cartographie précise d’Alger ainsi qu’une reconnaissance détaillée des moyens de défense de la ville. Il en a tiré des conclusions qu’il a rédigées et qui se résument ainsi :
L’attaque frontale par la mer était à écarter de par les positions de défense efficaces et également de par l’expérience néfaste des multiples tentatives précédentes.
Un débarquement à distance paraissait plus judicieux, consistant à contourner la ville d’Alger par les terres et de la prendre à revers. Le site du débarquement est même précisé, à Sidi Ferruch, pour ensuite avancer vers Staouéli, puis Sidi Khalef, arriver sur les hauteurs de Fort l’EmpereurFort l’Empereur, ou “Sultan Kallassi”, ou encore “Kalaa Si” pour les turcs, est une fortification édifiée sur les hauteurs d’Alger, entre El Biar et la Casbah qu’elle surplombe et qu’elle est supposée défendre. Son appellation se réfère à l’empereur Charles Quint, qui y avait établi un premier campement au début de son aventure en 1541, avant le désastre et la retraite dans le désordre., qu’il faudra prendre, pour enfin entrer dans Alger par ses arrières, point de faiblesse de ses défenses.
Ainsi, Charles X et Polignac n’eurent simplement qu’à adopter et appliquer ces recommandations.
L’expédition est donc entreprise et le commandement en avait été confié au général Louis de Bourmont. Ce choix était surprenant car cet officier, très critiqué par l’opposition en France, traînait une réputation peu honorable, entachée par un grave acte de désertion durant la bataille de Waterloo, à la veille de laquelle il s’était rendu à l’ennemi, auquel il aurait même dévoilé des plans de bataille de Napoléon et aurait ainsi contribué à la défaite de l’armée française.

Le débarquement
Partie de Toulon, sous le commandement donc du général De Bourmont, assisté des généraux Loverdo, Berthezène et Duc des Cars, l’immense flotte, conduite par l’amiral Duperré, débarque, selon les plans établis, à la plage de Sidi Ferruch le 14 juin 1830.
Elle est composée de :
Plus de 100 navires de guerre bien armés.
675 bateaux de transport (pour les troupes, l’armement, le génie, les tentes, le bétail, les chevaux, les boissons…)
Un ensemble d’environ 37000 hommes, entres soldats, marins et personnel. Une armée structurée, bien encadrée par des généraux et des officiers de carrière, composée d’hommes aguerris par les campagnes militaires antérieures de Napoléon Bonaparte, comprenant trois divisions d’infanterie.
En face, le Dey Hussein, peu inquiet et sous-estimant les forces ennemies, envoya à leur rencontre, une armée composée de janissaires, de cavaliers et de troupes d’algériens venus des différentes régions du pays. Elle est commandée par l’Agha Ibrahim, gendre du Dey, homme peu compétent, inconscient de la situation réelle et sûr de sa victoire.
Le premier affrontement a eu lieu le 19 juin à Staouéli où l’Agha avait établi son campement, soit cinq jours après l’arrivée des français, alors qu’il aurait pu attaquer plus tôt, comme cela lui avait été conseillé par son entourage et profiter ainsi du processus de débarquement, avant que l’armée ennemie ne s’organise. Finalement, la bataille fut rude mais rapidement remportée par l’armée française, plus disciplinée et dont les fusils et les canons firent ravage au sein d’une armée hétéroclite, insuffisamment préparée et menée par un homme peu rompu aux stratégies militaires des batailles terrestres.
L’armée de l’Agha a dû alors se replier vers le village de Sidi Khalef où celle de De Bourmont les a rejoints cinq jours plus tard, pour les défaire encore et arriver ensuite en face de Fort l’Empereur. A ce niveau, la bataille s’est transformée en un siège, avec un important duel d’artillerie. Là encore, les canons français, plus puissants et plus précis, vinrent à bout de la résistance de la forteresse, qui a finalement été prise le 04 juillet. Aucun obstacle ne se dressait dorénavant devant l’armée française, qui entra dans Alger par la Casbah et obtint la capitulation du Dey le 05 juillet de l’année 1830.
Charles X exultait puis fêta avec faste cette victoire qu’il ne pensait pas voir venir si facilement, en attendant d’empocher pour son compte personnel une partie de ce trésor. Mais, vicissitudes de l’histoire, la situation à Paris s’était tellement envenimée qu’elle a fini par déboucher sur la Révolution de Juillet qui a abouti à son arrestation. Il ne profitera donc pas des bénéfices de l’expédition d’Alger, dont il attendait beaucoup. Il en fut autrement et il se retrouva exilé en Angleterre.
Il est remplacé sur le trône par Louis Philippe, qui va régner sur la France pendant encore 18 ans.
La victoire à Alger étant devenue totale, les officiers supérieurs se mirent à la recherche du fameux trésor de la Régence, qui avait été amassé tout au long du règne des ottomans sur Alger. La clef de la cache leur est remise par le “Khaznadji” en personne (le ministre des finances et préposé au trésor). Le butin trouvé méritait bien les fantasmes qu’il suscitait. Il y avait de tout, des tonnes de lingots d’or, de grandes quantités de pièces d’or et d’argent, des bijoux, des pierres précieuses…
Le détournement du trésor
De Bourmont, qui avait pour mission de s’emparer d’Alger, avait également pour mission secrète de détourner une grande partie du trésor confisqué. Il désigna, pour la forme, une commission des finances qui devait prendre possession du butin et en faire l’inventaire. Cette commission, composée du baron Denniée, l’intendant en chef de l’armée, de Jean-Baptiste Firino, payeur général de l’armée et de Henri-Alexis de Tolozé, membre de l’état-major, fera son rapport et conclura que la valeur du trésor s’élevait à près de 49 millions de francs de l’époque. Il s’agissait bien sûr d’un rapport frauduleux puisqu’il valait au moins 10 fois plus selon des estimations ultérieures. Cette sous-évaluation était en fait bien intentionnelle et effectuée dans la perspective de réaliser un détournement massif.
Entre temps, la frénésie s’était emparée des soldats qui entreprirent une mise à sac de la ville. Selon le témoignage du général Loverdo, écœuré, les jeunes officiers, bien que porteurs de noms illustres, “conduisaient la meute à la curée” et participaient bassement au pillage. Puis ce fut la grande curée, où tous ceux qui avaient accès au trésor, directement ou indirectement, se servirent abondamment.
A partir de là, l’histoire restera marquée par deux faits majeurs, il s’agit d’abord du hold-up effectué sur le trésor d’Alger ainsi que du scandale de ce qu’il allait en advenir et le deuxième a trait aux massacres sans limites perpétrés contre la population algérienne, le tout, sous la couverture du parjure infâme commis par le commandement militaire français et qui a gravement entaché l’honneur du roi de France.
En effet, au cours de l’expédition, De Bourmont avait rédigé trois proclamations successives à l’attention des Algériens, qu’il leur a diffusées au nom du roi de France et dans lesquelles, il jurait “par son sang” que cette expédition n’avait pour but que de chasser le Dey et libérer les algériens de la tyrannie des turcs. De plus, il s’engageait à respecter tous leurs biens, leurs propriétés ainsi que leurs mosquées et leur “sainte religion”. Ce n’était bien sûr qu’une ruse sordide, préméditée mais à laquelle les algériens crûrent et n’opposèrent par la suite aucune résistance à l’entrée des troupes françaises dans Alger après la prise de Fort l’Empereur. Ils y crûrent naïvement, d’une part parce que ces promesses émanaient d’une “nation civilisée” et engageait la parole d’un roi et d’autre part parce que, de leur côté, ils avaient une conception quasi sacrée de la parole donnée. Cette félonie finira, en fin de compte par dévoiler une nation d’alors, empreinte d’hypocrisie et d’avidité.
Finalement, alors que les 49 millions de francs seront envoyés en France et considérés comme largement suffisant pour rembourser les frais de l’expédition, rétribuer les militaires et verser le reste au Trésor de France, de nombreux autres bateaux, dont certains appartenant à la Maison Seillière, chargés de caisses soustraites au trésor d’Alger prennent la direction de différents ports de France, de Sardaigne, d’Espagne et surtout d’Angleterre où les richesses détournées seront par la suite recyclées dans d’opaques circuits bancaires internationaux, pour finalement tomber dans l’escarcelle de Louis Philippe et de celle de personnalités du gouvernement, d’hommes politiques, de militaires ainsi que de banquiers, les indispensables agents de blanchiment du butin.
De fait, ces individus devinrent subitement à la tête d’une fortune, parfois immense, en l’occurrence :
les membres de la commission des finances : Denniée, Firino et Tholozé, dont le train de vie s’est subitement trouvé métamorphosé.
Les Bacri et les Busnach : spéculateurs et corrupteurs acoquinés au pouvoir, ils ont vu leur richesse et leur influence propulsées au sommet.
Les Seillière eux-même et leurs associés Schneider, qui ayant pris leur part de l’or détourné, purent ainsi se permettre d’acquérir en France un ancien centre métallurgique, les forges du CreusotC’est un ancien centre métallurgique, situé en Saône-et-Loire, qui après quelques déboires, a été fermé en 1832. Les associés Seillière et Schneider ont en fait une spectaculaire acquisition en 1836, y effectuèrent un énorme investissement et développèrent une importante activité industrielle orientée vers les chemins de fer, l’automobile, la construction navale et l’armement. Parallèlement la ville devient prospère et dominera la région en abritant ce qui deviendra, un des fleurons de l’industrie française. Ainsi a été la contribution de l’argent volé d’Alger au développement de la France..
A Londres, Talleyrand, Charles X et De Bourmont qui les rejoindra après son départ d’Alger, ne sont pas en reste puisqu’ils se sont retrouvés en possession de sommes considérables et Charles X put disposer à la banque Forbes d’un crédit illimité, d’origine mystérieuse. Une partie sera, par ailleurs, utilisée pour mener une contre-offensive politique et insurrectionnelle armée contre le nouveau pouvoir de Louis Philippe, cependant sans succès.
En France, la rumeur du pillage se propage rapidement et devint si forte que, sous la pression, le Roi Louis Philippe envoie à Alger le général Clauzel, en remplacement de De Bourmont, afin de mener une enquête sur ces allégations. Clauzel nomme alors un personnage très controversé mais efficace, Jean Baptiste Flandin, comme chef et rapporteur de la commission d’enquête. Minutieux et pugnace, Flandin réussit à retrouver des preuves indiquant que le montant du trésor s’élevait en réalité à 240 millions de francs, ce qui fait ressortir un détournement de 200 millions. Son rapport devint explosif puisqu’il citait les noms de hautes personnalités du pouvoir. Clauzel ordonne alors l’arrêt de l’enquête et fait une déclaration blanchissant les militaires et confirmant le résultat de la commission des finances initiale.
L’histoire ne s’arrêtera pas là puisque selon de nouveaux témoignages ultérieurs, aussi bien celui du Khaznadji, que du consul d’Angleterre Saint-John, qu’également d’autres personnalités crédibles, le montant réel du trésor est réajusté à environ 500 millions de franc-or de l’époque, soit l’équivalent de 5 à 6 milliards d’euros actuellement, donc un détournement faramineux. Flandin, malgré sa mise à l’écart et le harcèlement dont il fera l’objet, ne baissera pas les bras et, avec une hargne intacte, refera surface à chaque changement politique, parfois de façon non désintéressée et continuera pendant plus de 20 ans à dénoncer les malversations, mais en vain, jusqu’à sa mort en 1853.
Après le pillage du trésor, s’ensuivit également un autre pillage, plus vaste :
Des milliers de maisons disposées autour de la Casbah furent confisquées ou détruites.
Les mosquées d’Alger sont dans leur grande majorité, soit détruites soit converties en églises ou encore transformées en casernes, dépôts …
Les stocks de blé, les réserves d’huile d’olive, les entrepôts de cuir, de laine et toutes les marchandises commerçables sont confisquées et, là encore, cédés à la Maison Seillière, qui en fait l’acquisition à des prix jugés ridiculement bas, pour les embarquer sur ses bateaux et faire d’immenses bénéfices à la revente.
Les massacres
En 1832, le roi Louis Philippe nomme René Savary, duc de Rovigo comme gouverneur d’Alger. Il s’agit d’un militaire odieux qui va marquer son passage par un comportement cruel et criminel, n’hésitant pas à recourir à des exécutions sommaires et à de vastes tueries. En avril 1832, des envoyés d’une tribu du sud, porteurs d’un message aux français, avaient été dépouillés près du territoire où était campée la tribu des El-Aouffia ; Savary envoya alors une troupe, qui surprit à l’aube la tribu encore endormie sous ses tentes et qu’il massacra entièrement, 1200 âmes environ, tuées sauvagement, sans distinction d’âge ni de sexe. Leurs habitations furent ensuite détruites et leurs troupeaux confisqués. Quelques jours après, on sut que cette tribu n’était pour rien dans ce qui lui était reproché. C’était là le premier génocide en Algérie effectué au nom de la France civilisée.
Ce ne fut pas le dernier et de nombreux autres suivront, fortement soutenus par une politique d’extermination, dont l’artisan est sans conteste le général Bugeaud. En 1840, le gouvernement français, jusque-là hésitant, pris la résolution d’occuper totalement l’Algérie et ceci par tous les moyens. Il nomma à cet effet le général Bugeaud gouverneur d’Algérie, avec pour mission d’écraser la révolte et d’occuper le pays. De 1840 à 1847, ce général-criminel a mené les actions et exactions les plus meurtrières. Utilisant alors les méthodes les plus abjectes, particulièrement dans sa guerre contre l’Émir Abdelkader qui était en train de réussir à construire un état organisé et puissant, Bugeaud a entrepris des expéditions punitives contre toute tribu qui le soutenait, recourant au massacre systématique des hommes, femmes et enfants, suivi de la destruction de leurs habitations et de la main mise sur leur cheptel.
En droite ligne de sa logique, il a étendu cette politique de terreur à toute tribu ou village qui ne se soumettait pas à la domination de la France et a entrepris une véritable politique de la terre brûlée, déniant au peuple algérien le droit de se défendre contre une invasion étrangère. Ainsi, au moindre prétexte, des villages entiers sont rasés, leur vergers et récoltes détruits, et leur population déplacée , afin de s’approprier leurs terres ancestrales, puis d’aboutir à un véritable remplacement de la population, les nouveaux colons arrivants sans cesse, plein de convoitises. Il s'est attelé à l’édification de villages de colonisation fortifiés et demanda à ses soldats de rester en Algérie comme colons, selon sa devise “par la charrue et par l’épée”.
Pour justifier ces actions, des analyses réductrices sont propagées, portant sur “l’inaptitude” de l’algérien à rentabiliser un si riche pays et justifiant par là même, le “devoir de l’en déposséder”.
Les opérations de déplacement des populations vont être, à leur tour, dévastatrices, sources de grandes famines et d’épidémies. La survenue de ces fléaux, faussement imputés à la nature, ne peuvent en réalité être attribués qu’à l’action militaire qui les a précédés et qui en est directement responsable.
Les méthodes d’extermination se sont ensuite diversifiées pour prendre la forme des tristement célèbres “enfumades”, horribles moyens d’anéantissement de tribus entières, qui se réfugiaient dans des grottes afin d’échapper aux représailles.
Ainsi, la tribu des Ouled Riah, qui résistait à l’invasion de l’armée française et après une très dure bataille, a dû, à un moment, fuir devant l’avancée de l’ennemi et s’était réfugiée du 18 au 20 juin 1845 dans une vaste caverne, les grottes de Ghar El Frachih, située dans le massif du Dahra, à l’est de Mostaganem. Plus de 1000 personnes, composées d’adultes mais aussi de beaucoup de vieillards, de femmes et d’enfants, y étaient amassés avec leur bétail qu’ils avaient emmené avec eux.
Quelques jours auparavant, Bugeaud donnait ses instructions : “si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas; enfumez-les à outrance, comme des renards”. L’armée française, commandée par le lieutenant Pelissier, exécutant les recommandations du général Bugeaud, a alors entrepris, après des pseudo-sommations, la sinistre besogne de condamner l’entrée de la grotte par des fagots et des bottes de paille et d’y mettre le feu, un feu entretenu toute la nuit par la troupe française, condamnant ainsi à une mort certaine ceux qui s’y étaient réfugiés. Une mort qui a dû être lente et atroce, dans une atmosphère d’affolement du fait de l’obscurité, de la fumée et de l’asphyxie et sous les piétinements par le bétail, lui aussi affolé. Une vision cauchemardesque s’est offerte par la suite aux soldats, celle d’un horrible spectacle d’amas de chair informes, de corps brûlés et déchiquetés, dans un enchevêtrement d’êtres humains, de bœufs, d’ânes et de moutons. Pélissier n’eut aucun remord, “la peau d’un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables” disait-il.
Malgré l’indignation de la presse française et de quelques intellectuels, comme Honoré de Balzac, Pélissier reçut le soutien farouche du ministre de la guerre, le maréchal Soult et celui du maréchal Bugeaud, gouverneur de l’Algérie, qui, ajoutant l’ignobilité à la cruauté, félicita Pélissier pour la réussite de l’expédition et lui confirma que s’il a été réduit à cette “cruelle nécessité”, ce n’était que par “l’aveuglement fou et le fanatisme” de ces insurgés, falsifiant ainsi le cours de l’événement en rejetant la responsabilité de cet acte criminel sur la victime elle-même. Pélissier sera plus tard récompensé pour ses services et sera nommé maréchal de France, puis gouverneur d’Algérie en 1860 et Grand Chevalier de la légion d’Honneur.
Ces enfumades, impunies, vont se répéter et quelques mois plus tard, le 08 août 1845, Saint-Arnaud utilise la même méthode pour emmurer vivants 500 algériens abrités dans une grotte à Ain Mérane, entre Ténès et Mostaganem puis mettre le feu à l’entrée.
Cavaignac en avait fait de même aux Sbéhas, une année auparavant, le 11 juin 1844. Les Sbéhas, de la tribu des Ouled Sbih, après avoir attaqué des colons et des collaborateurs, s’étaient réfugiés dans une grotte sous une immense falaise. Après les avoir rejoints, la colonne commandée par Cavaignac en boucha l’entrée par des broussailles et y mit le feu. Ce fut là, sans conteste, la première chambre à gaz en Algérie et le prélude à la série qui allait suivre.
L’anéantissement total du peuple algérien était devenu un objectif ferme car plus rien n’empêcherait alors la jouissance pleine et entière, par les colons européens, de cet immense territoire fertile. C’est ainsi que le massacre de la population algérienne a été pérennisé, particulièrement tout au long des quarante premières années qui ont suivi l’arrivée des français.
Pour Jules Verne, “devant la race anglo-saxonne, Australiens et Tasmaniens se sont évanouis, devant les conquérants du Far West s’effacent les Indiens du Nord-Amérique. Un jour, peut-être, les Arabes seront anéantis devant la colonisation française: c’est la loi du progrès”.
L’étude de l’évolution démographique de cette population algérienne dévoile parfaitement l’ampleur du désastre humanitaire commis. Après 40 ans de massacres, de famine et d’épidémies, la population algérienne a été évaluée à 2 100 000 âmes, selon le premier recensement complet et officiel, établi en 1872 par les autorités françaises en Algérie. De combien était-elle en 1830 ? N’ayant pas encore pénétré à l’intérieur du royaume, les français l’évaluaient diversement et les chiffres les moins hasardeux variaient entre 3 et 4 millions.
A ce sujet, Jennifer Sessions écrit : “la conquête militaire a eu un impact démographique dévastateur sur la population autochtone, qui est passée de 4 millions à la veille de la colonisation à 2,3 millions au milieu des années 1850. Elle ajoute: “la guerre française figure indubitablement au panthéon des génocides coloniaux” (Sessions 2015).
Une évaluation plus crédible, basée sur une connaissance réelle du pays et sur une recherche statistique effectuée à travers toute la Régence, auprès des collecteurs d’impôts, des notables et des tribus, l’Algérien Hamdan KhodjaNotable respecté, riche propriétaire et professeur de droit à la zaouïa d’Alger, c’est un Kouloughli, de père Turc et de mère algérienne. Il voyageait beaucoup, tant à travers l’Algérie qu’en Europe et en Orient. En plus de parler l’arabe et le turc, il apprit aussi le français et l’anglais. L’invasion française bouleversa sa situation. Son activité politique de défense des autochtones lui attira la défiance et les représailles matérielles des français. Malgré cela, il rédigea en 1833 un ouvrage “le Miroir” dans lequel il dresse un tableau détaillé de la situation de la Régence d’Alger avant 1830, puis dénonce les exactions commises par l’armée française. Harcelé, menacé, particulièrement par Clauzel, il finira par quitter à contre-cœur l’Algérie pour aller s’installer en Turquie, où il finira ses jours., dignitaire, estimé et reconnu sincère et foncièrement honnête par les Français eux-mêmes, écrit en 1833 dans son livre Le Miroir : “le royaume d’Alger est une nation de 10 000 000 d’âmes” (Khodja 1833). Ces chiffres sont confirmés et leurs sources détaillées dans l’ouvrage de Michel Habart en page 55 et plus (Habart 1960). Donc, de dix millions d’habitants en 1830, elle a chuté à deux millions en 1872, soit un total de huit millions de morts au cours de cette période.
Extraite du livre de Michel Habart (Habart 1960).

A partir de cette date de 1872, un fléchissement des tueries est constaté mais qui n’était finalement dû qu’à un besoin, de plus en plus important, d’une main d’œuvre locale plus que bon marché car, 98% des meilleures terres d’Algérie, qui appartenaient à de grandes tribus, se sont retrouvées en fin de compte entre les mains de la population européenne.
Malgré ces multiples méfaits, les décennies qui ont fait suite à la prise d’Alger, ont vu une multiplication d’articles, de rapports, émanant de personnalités intellectuelles qui saluent l’héroïsme et l’honneur des militaires français, rendent hommage à la France, venue en civilisatrice d’un pays arriéré et insistent sur la nécessité pour la France de poursuivre la colonisation totale de l’Algérie, afin de concrétiser des objectifs précis :
Réaliser le rêve d’une renaissance et de la reconstruction d’un empire colonial qui permettrait de concurrencer la puissance arrogante de l’Angleterre.
Se débarrasser vers la colonie, de la frange de la population française touchée par la pauvreté et en excès démographique, ainsi que du nombre très élevé des brigands et des criminels qui ne trouvent plus place dans les prisons françaises saturées.
Parmi les défenseurs de la colonisation à outrance de la terre d’Algérie, on retrouve, entre autres, des écrivains célèbres :
Alexandre Dumas, enthousiaste dès l’annonce de l’expédition, il voulait même en faire partie.
Guy de Maupassant, chargé par le Gaulois d’écrire des chroniques journalistiques lors de ses différents séjours en Algérie et alors que, par ailleurs, il clamait réprouver la forme violente de la colonisation mais en énonçant quand même ses bienfaits, il rédige des analyses avilissantes pour les algériens, qu’il décrit sous des aspects mensongers, avec des mœurs effroyables, des comportements vils, pervers.
Lamartine, poète-député, plutôt ambivalent, qui d’un côté dénonce fermement en 1846, à l’assemblée nationale les violences de l’armée mais qui ne fera rien de ce qu’il préconisait une fois arrivé au pouvoir.
L’écrivain et député Victor Hugo. Auteur des Misérables et d’habitude acteur très actif dans la vie politique française, il est resté un complice passif devant ce qu’il se passait en Algérie, “auteur de plus d’un millier de pages d’interventions politiques, il n’a pas consacré un seul de ses discours ou de ses articles à la question algérienne”, explique Franck Laurent, maître de conférences en littérature, dans “Victor Hugo face à la conquête de l’Algérie”.
Lors d’un dîner avec le général Bugeaud en janvier 1841, il lui déclare “Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde”. Note d’Adèle Hugo, son épouse, qu’elle a fait paraître en 1863, dans Victor Hugo, Œuvres complètes, Club français du livre, Paris, 1967-1970, tome VI.
Le peintre de l’expédition Horace Vernet, qui glorifie sur des tableaux hauts en couleurs, les actes sombres des envahisseurs français. Il convient ici de citer Charles Baudelaire, qui a eu la grandeur d’exprimer son dégoût pour ce type de peinture : “Je hais cet art improvisé au roulement du tambour, ces toiles badigeonnées au galop, cette peinture fabriquée au pistolet”.
Le très réputé Alexis de Tocqueville, le parlementaire-écrivain à double façade. Reconnu en effet comme fervent défenseur de la démocratie et des libertés à travers le monde, membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, il présente en 1847 un rapport à l’assemblée nationale, qui lui était acquise, où il déclare “approuver qu’on brûlât les maisons, qu’on vidât les silos, qu’on s’empara des hommes sans armes, des femmes et des enfants”, moyens nécessaires selon lui pour arriver à établir la domination de la France.
La religion musulmane, lien fort entre les algériens, n’est pas épargnée et elle est décrite, par des mensonges honteux, comme étant rétrograde et obscurantiste, violente, fanatisante, à la base d’abominations et de comportements immoraux (voir les témoignages en fin d’article).
Un véritable matraquage des esprits qui aura pour finalité de forger un cliché indélébile et un dégoût de l’“arabe” dans l’imaginaire français et faire admettre que ces “indigènes”, et ces “barbares” ne représentent qu’une “race inférieure”, inaccessible à la civilisation et dont l’extermination devient par conséquent licite et nécessaire. Petit-JeanLivre de Charles Jeannel, publié à Paris en 1848, chez C. Delagrave. Ouvrage raciste, où Alger est racontée à l’enfant Petit-Jean, comme étant un repaire de brigands et les arabes présentés sous la forme la plus abjecte. Narration perfide, qui réussira à révolter Petit-Jean, qui très remonté, lancera dans un cri : “quelle honte ! comment ne faisait-on pas la guerre pour exterminer cet abominable peuple”. Ouvrage honteusement pédagogique, assez illustré, destiné aux élèves de la République et largement conseillé par les institutions, il a connu un grand succès pendant plus de 30 ans. L’art de créer des générations de racistes malgré eux., l’ouvrage de Charles Jeannel, publié en 1884, est la parfaite illustration de ce lavage de cerveau pédagogique.
Plus tard, la population algérienne rescapée, soumise à une misère extrême, va subir en plus, un véritable apartheid, par l’instauration du code de l’indigénat. Ce code infâme qui lui ôte tous ses droits civiques, qui la soumet à des sanctions individuelles ou collectives arbitraires, de nature physique ou financière, qui lui déni le droit à l’instruction en entreprenant la destruction des écoles et la marginalisation des enseignants.
L’algérien se retrouve ainsi spolié de sa terre, de sa personnalité et de sa culture, réduit alors à un “être inférieur”, indésirable dans son propre pays, pays pourtant décrit par des diplomates, ou par de simples voyageurs, comme un État florissant et habité par un peuple largement alphabétisé.
En fin de compte, qui étaient réellement les Barbares ? n’était-ce pas les officiers sinistrement notoires, tels que les Savary, Bugeaud, Pélissier, Randon, St Arnaud, Cavaignac, Lamoricière… ainsi que les différents gouvernements qui s’étaient succédé depuis 1830 et qui les ont couverts ?
Les décennies s’égrenaient ainsi et le ciel d’Algérie demeurait sombre pour son peuple, jusqu’au jour où une étoile se mit à briller, puis à étendre son éclat sur tout le pays… ce fut en 1926, une certaine Étoile Nord AfricaineL’Etoile Nord Africaine était le premier parti nationaliste algérien à voir le jour, et qui prônait l’indépendance du pays. Il a été crée en France au printemps 1926, avec l’appui du Parti communiste français. Au départ, il s’agissait d’une association de bienfaisance animée par les ouvriers musulmans résidents en France. Plusieurs noms de militants algériens sont associés à la naissance de l’ENA, mais celui de Messali Hadj en est resté le symbole..
Conclusion
En fin de compte, cette expédition militaire française en Algérie, qui se disait civilisatrice, ne fut en réalité que parjure infâme, pillage massif, apartheid, génocides et crimes contre l’Humanité, un des épisodes les plus sanglants et les plus déshonorants de l’Histoire française.
Il est pour le moins indécent que la France officielle actuelle qui, d’un côté, dénonce régulièrement le génocide arménien et les crimes commis par les nazis, qui organise des commémorations pour la Shoah et pour OradourOradour-sur-Glane est une commune de France, située en Nouvelle-Aquitaine, dont tous les habitants, hommes, femmes et enfants avaient été massacrés par les Nazis le 10 juin 1944, un total de 642 victimes, en représailles à leur soutien aux résistants français contre Vichy et l’Allemagne., persiste d’un autre côté à nier et à ignorer les génocides et les crimes commis en son nom en Algérie pendant plus d’un siècle et dont certains hommes politiques continuent de louer les “bienfaits de la colonisation”. Entre autres, un ancien président de la France a effrontément affirmé, dans un livre qu’il vient récemment de publier, que la colonisation de l’Algérie ne constituait nullement un crime contre l’Humanité et a même poussé le cynisme jusqu’à la qualifier d’œuvre civilisatrice, voire humanitaire.
Un jour, il faudra bien que tout le mal qui a été fait par le colonialisme français soit reconnu, que se fasse le deuil de ces 132 années de malheurs et qu’enfin, la page une fois écrite, puisse alors être tournée. Il incombe par ailleurs à l’État algérien, l’obligation de consolider le devoir de mémoire et de perpétuer les commémorations des événements tragiques du passé.
Citations et témoignages
Citations extraites des Lettres du Maréchal Saint-Arnaud
Avril 1842: Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Nous avons tout brûlé, tout détruit. Que de femmes et d’enfants, réfugiés dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère !
Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre ! […] je brûle aujourd’hui les propriétés et les villages Ben-Salem et de Bel-Cassem-ou-Kassi. (région de Bougie, 2 octobre 1844)
J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. (petite Kabylie, mai 1851)
Citations extraites des Lettres du Lieutenant-colonel de Montagnac
Vous me demandez, dans un paragraphe de votre lettre, ce que nous faisons des femmes que nous prenons : On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des chevaux, et le reste est vendu à l’enchère comme bêtes de somme.
Nous leur avons enlevé pendant quatre mois toutes leurs ressources en blé et en orge. Nous leur avons pris leurs troupeaux, leurs tentes, leurs tapis, tous leurs objets de ménage, en un mot toute leur fortune.
Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe: l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied. Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens.
Louis Auguste Théodore Pein
Cet officier décrit la prise de Laghouat, à laquelle il assista le 2 décembre 1852 :
“Le carnage fut affreux ; les habitations, les tentes dressées sur les places, les rues, les cours furent jonchées de cadavres. Une statistique faite à tête reposée, après la prise, constate le chiffre de 2 300 hommes, femmes ou enfants tués ; le chiffre de blessés fut insignifiant”.
Le Comte d’Hérisson, officier et publiciste
II est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées sur les prisonniers.
Les oreilles indigènes valurent longtemps encore 10 francs la paire, et leurs femmes demeurèrent, comme eux, d’ailleurs, un gibier parfait.
Des cruautés inouïes, des exécutions froidement ordonnées, froidement exécutées à coups de fusil, à coups de sabre, sur des malheureux dont le plus grand crime était quelquefois de nous avoir indiqué des silos vides.
Le Général Le Flô
“il n’était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d’autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d’oreilles aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des pieds et des mains pour prendre leurs anneaux. Quand un Arabe était pris, tous les soldats devant lesquels il passait pour aller au supplice lui criaient en riant : cortar cabeza !” (“On va te couper la tête”)
Alfred de Vigny
le triomphe de cette civilisation européenne sur la barbarie doit l’emporter sur toute autre considération humaine ou morale. En particulier si la dite barbarie est de confession mahométane : “L’humanité a les mêmes droits sur elle-même qu’un homme sur son corps pour le guérir. Si l’on préfère la vie à la mort, on doit préférer la civilisation à la barbarie. Nulle peuplade dorénavant n’aura le droit de rester barbare à côté des nations civilisées. L’islamisme est le culte le plus immobile et le plus obstiné, il faut bien que les peuples qui le professent périssent s’ils ne changent de culte.
Louis Veuillot, journaliste
Il n’y a pas trois procédés pour soumettre l’Algérie et la tenir en paix : il faut vaincre Mahomet, ou exterminer les Arabes ; il faut amener ces peuples au Christianisme, qui seul les rendra Français, ou accepter la mission sauvage et funeste de les détruire.
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Références
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